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Béatrice ou l'éducation d'une jeune soubrette
Le pavillon de chasse de style mauresque, édifié en souvenir de l’Exposition universelle de Paris de 1867, se déployait à la limite du parc, au bas d’une immense pelouse, entre des bouquets de chênes et d’érables. Béatrice l’avait aperçu un jour, par hasard, entre les frondaisons, depuis la rotonde du temple de Vénus, qui ferme, au-dessus du grand bassin, la perspective principale du château. Elle avait patienté jusqu’à la nuit pour s’y aventurer et, guidée par le plaisir trouble de la curiosité et de la peur, elle avançait maintenant, les yeux à demi clos, la gorge serrée, sur la ligne courbe du chemin. Autour d’elle, des bosquets d’ombre, ça et là, bombaient leurs masses dans l’obscurité, et parfois, frissonnant tous d’un seul mouvement, ils se dressaient et se penchaient sur son passage. Elle parcourut les derniers mètres ses souliers à la main, pour éviter de faire crisser le gravier sous ses pas, et pénétra, le cœur battant, dans le bâtiment.
Une longue galerie percée de fenêtres occupait l’espace, où dix niches ouvragées dans le style meringué rococo bavarois se faisaient face. Entre chacune d’elles, les murs étaient ornés d’armes et de trophées de toutes sortes. Souvenir d’équipées lointaines et témoignage posthume de l’excentricité de Lord Ashley, l’ensemble formait un bric-à-brac surréaliste de dépouilles d’ours, de têtes de mouflons, d’aigles empaillés, de cornes d’antilopes, de bois de rennes et de défenses d’éléphants. Il y régnait une exquise odeur de cuir, de tabac blond et de graisse à fusils.
Tout au fond de la galerie, égayé par un feu crépitant dans une grande cheminée, Lady Alexandra trônait dans un fauteuil de Maharadjah à haut dossier. Une peau de tigre du Bengale était déroulée à ses pieds. Hautaine, superbe, inaccessible, elle était simplement - mais divinement - vêtue d’une guêpière en mousseline de satin noir qui, soulignant autant la finesse de sa taille que, par contraste, le galbe de ses hanches, mettait également en relief sa poitrine dénudée, magnifique, provocante. Une perruque brune et un maquillage soutenu accentuaient la sévérité de ses traits. A travers les volutes bleutées d’un immense fume-cigarette, le reflet d’un regard amusé éclairait le miroir de ses deux grands yeux verts.
- J’étais sûre que tu finirais par venir… approche !
- Mais, Madame…
- Tais-toi et obéis ! Ici, tu apprendras que je ne suis plus Madame mais Maîtresse et que tu es mon esclave.
L’ordre claqua comme un fouet dans un silence glacial et, lorsqu’elle entendit la lourde porte d’entrée se refermer derrière elle, Béatrice comprit soudain qu’elle était prise au piège. Un homme de grande taille en défendait désormais l’accès. Il était presque entièrement nu. Son visage était dissimulé sous un masque et il portait un slip échancré en cuir noir, doté d’un orifice circulaire découpé en son milieu, qui laissait apparents, afin de les mettre en valeur, des attributs virils hors du commun. Un sourire énigmatique flottait entre ses lèvres. La soubrette crut reconnaître celui de George, le majordome de Lady Alexandra. Son âme damnée aussi. A moins qu’il ne se soit agi d’Harry, « l’essayeur » attitré de Madame, son « Prince des ténèbres », comme elle avait coutume de l’appeler également.
Sur le côté gauche de la galerie, où des candélabres jetaient de longues taches inégales sur les fresques du plafond, neuf jeunes filles entièrement nues étaient alignées en enfilade. La dixième niche était vide, prête à accueillir une nouvelle venue. Toutes étaient jeunes comme Béatrice. Entre leurs jambes, le jeu mobile des ombres et des lumières éclairait tour à tour les boucles de leurs toisons et les tétons dressés de leurs bustes.
Plusieurs d’entre elles étaient montées sur des phallus de cuir fixés contre le mur, sur lesquels elles se démenaient au prix de sauvages contorsions, car elles avaient reçu pour instruction de se besogner jusqu’à ce qu’elles atteignent leur plaisir. Béatrice observa la rangée de corps qui se débattaient. Les mains des filles étaient attachées au-dessus de leurs têtes, ainsi que leurs pieds par-dessous. Elles disposaient de peu de place pour se mouvoir sur ces godemichés et elles tournaient dessus en s’efforçant d’onduler du bassin du mieux qu’elles pouvaient, les yeux voilés de larmes.
A une autre, qui geignait doucement, avait été appliquée sur chaque téton une pince munie de petites clochettes de cuivre. Celles-ci frissonnaient au rythme de sa respiration. A la longue, elles étaient devenues pesantes, elles la tiraient et, en lui alourdissant les seins, les lui rendaient douloureusement présents. Plus bas, entre ses membres écartés, on avait fixé d’autres clochettes à ses lèvres intimes. Elles lui touchaient les cuisses, la mordaient et lui entamaient les chairs.
A une dernière enfin, on avait assujetti des menottes de cuir équipées d’un anneau aux chevilles et aux poignets. Ces derniers avaient été suspendus à un crochet au-dessus de sa tête et on avait ramené ses jambes devant elle, de manière à lui fixer les chevilles au même crochet. Sa tête lui avait été passée de force entre les mollets et une lanière de cuir lui plaquait les jambes contre le torse. Pliée ainsi en deux comme un pantin dans cette position particulièrement incommodante, elle exhibait, juste au-dessous de son visage empourpré, son sexe nu et gonflé, pointant de la couronne dorée de son pubis avec ses lèvres roses, jusqu’au petit œillet brun entre ses fesses.
L’homme masqué arpentait maintenant la rangée des jeunes femmes avec un air sévère, comme s’il passait des troupes en revue, prenant visiblement plaisir à les tourmenter. A tour de rôle, Il leur écartait les jambes et leur caressait les cuisses. Puis, de l’index et du pouce, il s’enfonçait dans leurs toisons humides et soyeuses, sentait leurs petites lèvres tendres et les forçait à s’ouvrir toutes grandes pour accéder au fragile nodule de chair, qu’il lutinait, allant et venant patiemment, jusqu’à ce qu’elles soulèvent les hanches et que, haletantes, convulsées, leurs pubis s’ouvrant et se fermant comme des petites bouches languissantes de plaisir, elles finissent par s’abandonner, le dos cambré, parcourues d’un terrible frisson.
En vis-à-vis, dans les niches opposées, était alignée une rangée de dix hommes, également nus. Très beaux, chacun à sa manière, ils offraient tous en commun la vision de leurs bouches bâillonnées et de leurs sexes durs et érigés, immobiles, tendus à l’horizontale, le bout luisant, sur le nid de boucles qui leur assombrissait l’entrejambe. Le spectacle des jeunes femmes qui leur faisaient face les mettait au supplice et ils arquaient leurs hanches vers elles, exaspérés, implorant la grâce d’être soulagés du désir qui les raidissait.
Les uns avaient les membres écartelés, les chevilles et les poignets enchaînés au mur, leurs organes dressés malgré les poids que l’on avait fait pendre à leurs testicules. D’autres avaient les mains liées derrière la nuque et par dérision, ou pour ajouter à leur supplice, on leur avait noué une large faveur rose autour de la verge. D’autres encore, enfilés sur des phallus de cuir, mais différemment des femmes, avaient les mains attachées dans le dos et tentaient désespérément de se dégager afin d’abréger leur souffrance.
Un peu plus loin, un homme se tenait à genoux, les mains liées dans le dos. Une jeune paysanne le fessait à coups de battoirs réguliers, tandis que, dans le même temps, elle actionnait son pénis avec lenteur. Lorsque ce dernier s’amollissait sous l’effet de la douleur, les coups cessaient quelques instants, puis la main s’occupait à nouveau de lui pour le faire durcir et l’épreuve recommençait. Victime de ce supplice apparemment sans fin, il exprimait dans sa douleur silencieuse toute la détresse du monde, tenaillé par l’envie de résister et celle de se soumettre.
La présence de Lady Alexandra les excitait encore davantage. Celle-ci s’était maintenant levée et paradait devant eux, ajoutant à leur émoi par les frôlements de son corps sublime. Elle lissait les cheveux de l’un pour lui dégager le front, plongeait son regard dans celui de l’autre, laissait ses doigts glisser sur une poitrine lisse, tordait le bout d’un sein, flattait la rondeur d’une fesse, griffait du bout des ongles le galbe d’un mollet ou l’intérieur d’une cuisse. Livrés à des suppliques muettes pour la satisfaction de leur plaisir, ils se tortillaient et se poussaient en avant en se débattant afin d’entrer plus étroitement en contact avec elle. Mais elle ne s’attardait pas et, délaissant l’un pour aller martyriser l’autre, elle se gardait de les assouvir.
Sur un signe de sa maîtresse, l’homme masqué plaça Béatrice à l’extrémité de la rangée des mâles et la fit mettre à genoux suffisamment près pour qu’elle puisse sucer le pénis du premier. Comme si sa délivrance ne pouvait plus supporter la moindre attente supplémentaire, celui-ci précipita son membre turgescent dans sa bouche. La soubrette le lui pompa avec application. Elle ferma les yeux pour humer la fragrance délicieuse de la toison pubienne et goûter la saveur saline de sa peau, insensible aux mouvements du pénis butant contre le fond de sa gorge encore et encore entre ses lèvres. Elle sentait derrière elle l’homme masqué lui tenir fermement la tête entre ses mains et elle gémissait en cadence avec les mouvements de son partenaire. Les pressions de l’homme étaient fortes, presque brutales. Le rythme s’accéléra et elle le sentit jouir en elle dans une ultime poussée.
On plaça ensuite Béatrice devant le deuxième homme et elle dut pomper la queue longue et épaisse qui se tendait vers elle, sans égard pour ses protestations, étouffées, comme avec un bâillon, par les va-et-vient réguliers du membre au plus profond de sa gorge. Sa face était devenue douloureuse, sa bouche déformée, ses joues écarlates. La même épreuve se reproduisit devant le troisième homme, puis devant le suivant et ainsi de suite jusqu’au dixième.
Arrivée au bout de la rangée, Lady Alexandra ordonna à sa soubrette de venir lui baiser les pieds en signe de soumission. Tandis qu’elle était prosternée, elle autorisa l’homme masqué à la prendre par-derrière, devant elle, pour le récompenser de ses bons offices. Celui-ci ne se fait pas prier.
Béatrice fut ensuite attachée jusqu’au matin dans la niche vide qu’elle avait entrevue sans y prêter véritablement attention en entrant dans le pavillon. On veilla à lui attacher solidement les membres et à les tenir largement écartés afin de lui ôter toute tentation de se donner du plaisir durant la nuit. Pour prolonger ses tourments et afin de la maintenir douloureusement en éveil, les reins calés contre la pierre rugueuse et froide derrière elle, on tendit à la pointe de ses seins une fine chaînette en or, reliée en triangle vers le haut à l’anneau de son collier de chien.
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