Béatrice ou l'éducation d'une jeune soubrette
Il n’y avait pas que les sciences naturelles qui rebutaient Josie. Celle-ci éprouvait un dégoût similaire pour les mathématiques et avait décidé une fois pour toutes qu’elle n’y comprendrait rien. Les lettres, oui, les chiffres, non. Le blocage complet. Libre à ses camarades d’écouter si elles éprouvaient du plaisir à manier des formules ésotériques et des concepts abstraits. Pour sa part, elle se résignait difficilement à attendre la fin des cours. Dans la meilleure des hypothèses, elle se contentait de ronger son frein en dessinant en silence dans son coin. Mais la plupart du temps, son humeur badine la conduisait à organiser des jeux variés où les batailles de boulettes de papier et les jets de gommes occupaient une place prépondérante. Elle excellait également dans l’imitation des cris d’animaux - celui du coq en particulier - lorsque le professeur avait le dos tourné.
Le professeur en question était Helen Harper, une femme un peu plus âgée que sa collègue Rosemary Barton et qui se dévouait à son métier avec une totale abnégation, comme animée par une sorte de mission divine exaltant les vertus de l’effort, les bienfaits de la discipline et la réputation de l’établissement dans lequel elle avait l’honneur d’enseigner. Miss Harper savait parfaitement à quoi s’en tenir avec Josie. Elle exerçait sur elle un contrôle étroit, une surveillance de tous les instants, bien décidée à garder la situation en mains quelles que soient les circonstances.
Elle l’avait installée au premier rang de la classe, au milieu, juste devant l’estrade, de façon à pouvoir épier le moindre de ses faits et gestes et à intervenir sur-le-champ dés qu’il le fallait. Josie avait beau le savoir, emportée par ses jeux, elle se laissait toujours surprendre. Miss Harper déboulait alors du fond de la classe et fondait sur elle par-derrière tel un oiseau de proie. Avec Josie, il était vain de se borner à élever la voix. Les remontrances ou les menaces demeuraient sans effet. Seule la manière forte semblait encore rencontrer quelque succès.
Sans préambule, elle lui donnait alors l’ordre de poser immédiatement son stylo, de refermer son cahier, de se lever sans quitter sa place et de retirer sa veste d’uniforme. Une veste en flanelle grise ourlée d’un galon violet et ornée de l’écusson étincelant du collège.
- En position, Mademoiselle, dépêchez-vous !
Josie n’avait pas besoin qu’on lui en dise davantage. La position en question consistait à se courber en avant, à plaquer le buste sur le plat du bureau de façon à faire ressortir ses reins le plus haut possible et à laisser pendre ses bras par-devant. La vision directe de ce qui allait se produire alors lui échappait totalement mais à vrai dire, elle n’y faisait plus guère attention. Le refrain de la chanson était connu. Elle avait accumulé suffisamment d’expérience dans ce domaine pour savoir à quoi s’en tenir. Un silence sépulcral enveloppait soudainement la pièce. Miss Harper savourait longuement cet instant. La partie était gagnée d’avance. Les élèves ne pouvaient que se rendre à l’évidence : c’est à elle et à elle seule que reviendrait le dernier mot.
Et c’est bien comme cela qu’elle entendait procéder. La suite des événements lui appartenait. Une question d’habitude. Elle relevait soigneusement la jupe d’uniforme à larges plis afin de dégager les fesses moulées dans une ravissante petite culotte. La petite culotte réglementaire, haute et en coton blanc. Humilier avant de punir. Ne pas se contenter de la douleur physique. Penser surtout à mortifier la coupable. A faire naître en elle un sentiment de honte. Il fallait d’abord l’exhiber en petite tenue, sans défense et offerte. Dévoiler son intimité. Offenser sa pudeur. Provoquer les moqueries de ses camarades. L’écouter protester. La contempler en train de se trémousser en vain et de tortiller son petit derrière dans l’angoisse insupportable de la correction imminente. Faire durer son attente. Observer ses joues rosir et ses yeux se voiler. Patienter encore quelques instants. Suivre le liseré de ses doigts effilés et glacials, à l’endroit précis où l’élastique comprime la chair rebondie, jusqu’à ce que la peau nue se mette à frissonner. Puis d’un geste sec, remonter la petite culotte vers le haut afin d’exposer le plus possible les rondeurs potelées.
La punition pouvait alors commencer. Dès le premier coup, les élèves pouvaient facilement identifier l’instrument. Ils n’avaient guère de mérite. Tout le monde au collège connaissait les goûts de Miss Harper, sa prédilection pour la règle plate en bois - the house ruler - qui lui servait à de multiples usages, la plupart du temps pacifiques, pour désigner une formule au tableau ou pour réveiller la classe d’une pétarade retentissante le long des colonnes du radiateur quand son auditoire montrait des signes d’inattention. Détourné de son usage commun et appliqué aux punitions, elle trouvait qu’il s’agissait là de l’instrument idéal, long, flexible, léger, sonore, plus percutant que la main, sans toutefois se montrer trop douloureux, mais particulièrement bien adapté aux rondeurs adolescentes dont il épousait les courbes à la perfection.
A un rythme régulier, sans précipitation, en dosant l'intensité des coups et en alternant les points d'impact, la règle s'élevait en sifflant puis retombait sur les fesses de Josie. Celle-ci les contractait sous l'effet de la peur puis les relâchait avant de les crisper à nouveau en prévision du coup suivant. Miss Harper prenait bien garde de ne jamais frapper deux fois au même endroit. Elle imposait à ses élèves de compter chaque coup à haute voix, les rendant ainsi, par leur participation, complices de leur punition en la réclamant. La perversion consistait bien sûr à interpréter ce consentement implicite comme une invitation à poursuivre indéfiniment l'exercice en laissant planer l'incertitude sur la fin de l’épreuve. Elle se permettait même d’y ajouter une touche de raffinement supplémentaire en reprenant la punition depuis le début lorsqu’elles commettaient la moindre erreur.
Après une vingtaine de coups, le professeur s’accordait habituellement une pause qu’il mettait à profit pour frotter et pincer les courbes de son élève afin d’évaluer le degré de chaleur qui s’en dégageait à travers le tissu. La toute première fois, les élèves pensaient que leur épreuve s’arrêtait là. Secrètement satisfaites de s’en sortir à si bon compte, elles s’apprêtaient à se relever lorsque Miss Harper les rappelait à l’ordre et les contraignait à rester penchées en leur expliquant d’une voix enjouée qu’il ne s’agissait là que des préliminaires (« just a warm-up, my dear ! »). Que le plus douloureux était encore à venir. Le plus humiliant aussi, car Miss Harper saisissait alors des deux mains les bords de la petite culotte blanche et d’un geste définitif abaissait celle-ci à mi-cuisses. Après avoir testé toutes les nuances du rose, les fesses de la victime n’allaient pas tarder à s’enflammer comme des pivoines, puis à virer progressivement du vermeil au rouge écarlate.
Nouvelle attente interminable. Miss Harper rectifiait la position de son élève, qui devait cambrer davantage les reins en arrière et écarter impudiquement les cuisses afin que ses camarades ne ratent aucun détail du spectacle. Elle reculait alors d’un pas pour reprendre sa position tout en défiant la classe de ses yeux pétillants. Une nouvelle série allait commencer. A cet instant, comme sa collègue Rosemary Barton, elle éprouvait une sorte de plaisir pervers, incontrôlable. A conforter son image de professeur autoritaire. A insuffler sournoisement un vent de terreur entre les rangs. A combler peut-être en elle des frustrations plus secrètes. Rien ne la réjouissait autant intérieurement que de punir et d’humilier. Les élèves observaient la scène avec une extrême attention, partagées entre la crainte de devoir se trouver un jour à la place de leur camarade, la satisfaction d’échapper momentanément à la peine, et la bonne conscience de voir la plus dissipée d’entre elles payer pour toutes les autres.
- Allons, allons, Mademoiselle, un peu de tenue s’il vous plaît, nous ne sommes pas en France !
Les yeux embués de larmes, Josie ne pouvait s’empêcher de trépigner et de gigoter tout en implorant grâce. Mais dans la position où elle se trouvait, ses trémoussements demeuraient sans effet. Frappée de surdité, Miss Harper continuait comme si de rien n’était. Ses coups étaient même plus rapides. Plus appuyés aussi, surtout au niveau de l’entrecuisse, là où la peau est la plus tendre.
- Oowww, owww, Ohhhh, …uh … uh … hwwww, hhhwwwww
Un large sourire illuminait maintenant son visage. Elle n'était pas du genre à se laisser impressionner par des remords trop rapides ou par des promesses sans lendemain. Et puis elle détestait les choses faites à moitié. Pour une adepte des corrections magistrales comme elle, une bonne cinquantaine de coups constituaient un minimum. Poursuivre jusqu’au repentir total, jusqu’à la soumission absolue. Elle s’était fixée pour principe de ne jamais abandonner. Contre vents et marées, elle continuait impitoyablement avec une régularité de métronome jusqu’à ce que ses jeunes élèves se résignent finalement à accepter leur sort au point de renoncer à tout mouvement de défense, à s’abandonner.
Ce jour-là, elle ne put dissimuler un rictus de satisfaction quand Josie finit par éclater en sanglots, et pour célébrer sa victoire, elle continua plusieurs minutes encore à la fesser avant de se résoudre presque à regret à s’interrompre, haletante, les tempes moites et les joues congestionnées. Puis, reprenant petit à petit ses esprits, elle l’autorisa sèchement à remonter sa culotte et à renfiler sa veste.
En pleurs et occupée à éponger ses larmes, Josie vit le professeur regagner son bureau, toiser, triomphante, la classe du regard, et extraire son carnet de notes de son tiroir pour y inscrire la punition du jour. Quand elle découvrit que c’était la deuxième de la semaine, Miss Harper eut du mal à retenir un petit rire nerveux. Ce n’était pas à elle que l’on allait rappeler le règlement intérieur du collège. En effet, le chapitre spécial consacré aux punitions prévoyait expressément que la survenance de deux sanctions dans la même semaine entraînait ipso facto la convocation de la coupable chez la surveillante générale.
- Eh bien, Mademoiselle, à ce que je constate, vous avez gagné le gros lot, je vais vous donner un petit mot pour Mrs Whitfield, vous irez le lui porter immédiatement.
Miss Harper griffonna quelques lignes, s’interrompant à plusieurs reprises pour fixer Josie dans les yeux, comme si elle était à la recherche de l’expression la plus percutante :
- « En dépit de mes avertissements répétés, la conduite de Mademoiselle Roussel n’enregistre aucun progrès. Une correction très sévère me paraît indispensable. Je m’en remets à votre savoir-faire. Cordialement, H. Harper. »