Béatrice ou l'éducation d'une jeune soubrette
Après avoir couru tout au long du chemin et gravi quatre à quatre les degrés du perron, Béatrice se présente essoufflée dans le hall d'entrée du manoir. L'horloge marque onze
heures passées de cinq minutes. George, imperturbable, l'introduit dans le salon où l'attend Lasy Alexandra.
- Béatrice, tu as vu l'heure? C'est la première et la dernière fois que tu es en retard, c'est compris ?
- Oui, Madame, excusez-moi, Madame. [Son regard est attiré par le manche jaune d'un martinet à courtes lanières, posé sur une coiffeuse, juste à côté du fauteuil de sa maîtresse.]
- Je voudrais que tu m'écoutes très attentivement parce que je ne te répéterai pas deux fois ce que je vais te dire.
- Bien, Madame.
- J'attache la plus extrême importance à la tenue de mes soubrettes. Il faut qu'elle soit impeccable du matin jusqu'au soir. Tu te rendras vite compte que je suis très stricte sur ce point. Je n'admettrai aucun laisser-aller. Aucun. Est-ce clair?
- Oui, Madame.
- Bien. Pour ta première leçon, je vais t'apprendre à t'habiller.
- A m'habiller en soubrette?
- Oui, en soubrette, c'est bien pour ça que tu es à mon service, non? Commence donc par m'enlever toutes tes frusques de petite provinciale, je ne veux plus les voir. [Béatrice déboutonne son chemisier, retire sa jupe grise, ses gros souliers à lacets et ses chaussettes de laine.]
- Voilà, Madame.
- Je t'ai demandé de tout enlever! [La jeune fille, gênée, dégrafe son soutien-gorge qu'elle pose soigneusement sur le dos d'une chaise mais garde sa petite culotte.]
- Tu veux vraiment que je me fâche? [La maîtresse tend la main en direction de son martinet.]
- Oh non, Madame! [Elle se résout à se dénuder entièrement et tente avec maladresse de dissimuler son intimité avec ses mains. Lady Alexandra l'observe se dandiner d'un pied sur l'autre. Le malaise s'accroît. Béatrice sent son cœur battre à toute allure.]
- Entrez! [Blandine se glisse dans la pièce.]
- Tu tombes bien, Blandine, j'allais t'appeler. Prépare mon tailleur noir pour le cocktail de cet après-midi. Pas besoin de chemisier, je m'en passerai [Sourire]. Je te présente Béatrice, qui va remplacer notre fidèle Émilie. Je compte sur toi pour lui expliquer en détail le fonctionnement de la maison. Vous allez très bien vous entendre, j'en suis sûre. [Blandine foudroie du regard sa nouvelle rivale et quitte la pièce en claquant la porte.]
- Où en étions-nous ? Ah oui, tu ne vas pas rester comme ça ! Viens avec moi, je vais te choisir tes vêtements. [Lady Alexandra quitte le salon et conduit sa soubrette, dans le plus simple appareil, à travers un long couloir, jusque dans son boudoir.]
- Tu vas commencer par enfiler cette paire de bas.
- Bien, Madame.
- Pas n'importe comment, petite bécasse, retourne-les d'abord et passe-les délicatement par la pointe. Assure-toi que le talon est au bon endroit, c'est essentiel, et vérifie le tracé de la couture par-derrière au fur et à mesure que tu les remontes. Non, pas comme ça, tu vas trop vite, regarde de quoi tu as l'air, ils sont tout tortillés!
- Excusez-moi, Madame, mais c'est la première fois, je n'ai pas encore l'habitude.
Lady Alexandra aide sa soubrette. Celle-ci se laisse manipuler
comme une poupée. Visiblement, ses pensées
sont ailleurs, accaparées par la vision d'un alignement impressionnant d'escarpins posés sur une étagère au-dessus d'elle.
- Mais Madame, vous n'allez pas me faire porter ça, je ne vais jamais pouvoir tenir debout sur des talons aussi hauts!
- Eh bien tu apprendras jusqu'à ce que tu tiennes. Assieds-toi à côté de moi et donne-moi ta jambe. [Elle lui enfile une paire d'escarpins noirs à plates-formes.] Regarde bien comment il faut les attacher. Les brides croisées derrière, pas devant. Voilà, relève-toi et fais quelques pas.
- Vous voulez vraiment que je me torde la cheville et que je m'étale de tout mon long?
- Non, Béatrice, je veux simplement que tu apprennes à marcher élégamment.
- Dans ce cas-là, il va me falloir du temps.
- Eh bien, nous prendrons tout le temps qu'il faudra, Béatrice, cela dépend uniquement de toi. Regarde déjà la différence: ta silhouette est plus élancée, tes chevilles et tes mollets sont tendus, cela te fait des jambes superbes !
- C'est vrai, Madame!
- Tu verras, en accentuant ton déséquilibre en avant, tes talons te forceront à redresser le buste et à creuser les reins. Tu vas les rendre fous ! Je te montrerai aussi comment te déhancher.
- Oh oui, Madame!
- Et puis en t'obligeant à faire des petits pas, tes chaussures te rappelleront à chaque instant que tu n'es pas libre de tes mouvements. Que tu les portes pour faire plaisir à ta maîtresse. Que tu me dois une totale obéissance. Que tu m'appartiens. Tu comprends, Béatrice?
- Oui, Madame.
- Passons au soutien-gorge. Il te faut quelque chose d'un peu sexy.
- Oh non, Madame, pas celui-là, tout le monde va voir mes seins à travers!
- Je l'espère bien, Béatrice, mes invités n'attendent que ça!
- Et ma petite culotte, Madame?
- Tu n'en as pas besoin, tu porteras un body à la place. Tu seras beaucoup plus mignonne comme ça et puis ce sera beaucoup plus pratique pour te déshabiller!
- Me déshabiller?
- Oui, je t'expliquerai. En attendant, passe donc celui-là, il devrait être à ta taille.
- Mais Madame? vous avez vu, il est transparent!
- Bien sûr! Et alors? Tu préfères peut-être ressembler à une bonne sœur?
- Oh non, Madame!
- Laisse-moi faire et lève les bras au-dessus de ta tête.
- Je croyais que j'allais porter un chemisier blanc.
- Tu croyais mal, Béatrice!
- De toute façon, ce n'est pas à toi de décider. Je t'indiquerai très précisément tous les matins comment tu dois t'habiller et tu obéiras. C'est clair?
- Oui, Madame.
- Ecarte les jambes, que j'attache la bride.
- Maintenant essaie tes gants. Ce sont des gants d'opéra en satin. Il faudra que tu en prennes le plus grand soin.
- Bien, Madame.
- C'est un peu comme pour tes bas, tu vois, il faut les rouler complètement avant de les enfiler. Tu t'entraîneras dans ta chambre et puis au début, tu pourras aussi demander à Blandine, elle t'aidera.
- Vous croyez?
- J'en suis sûre. Blandine est là pour te guider, elle a plus d'expérience. Quand viendra ton tour, ce sera à toi d'aider les
plus jeunes. En attendant, concentre-toi, nous abordons le plat de résistance, si j'ose dire. Je vais t'apprendre à mettre un corset.
Lady Alexandra extrait de sa garde-robe un modèle rouge qu'elle applique sur le buste de sa soubrette. Constatant qu'il faut le
desserrer légèrement, elle le pose à plat sur ses genoux afin de l'ajuster, puis le plaque à nouveau et l'agrafe par-devant en commençant par le haut tandis que Béatrice creuse le ventre pour
l'aider.
- Le rouge est superbe, Madame, il est magnifique.
- Plus que magnifique, Béatrice, somptueux. Avec ça, je peux t'assurer que tu ne vas pas passer inaperçue!
- Mais on ne le verra pas s'il est sous ma robe.
- Bien sûr que si, on le verra quand on la relèvera.
- Vous voulez dire que je devrai me laisser peloter?
- Caresser, Béatrice, caresser, tu as très bien compris!
- Sans... sans me défendre?
- Sans te «défendre» comme tu dis, ma belle, il te suffira de te laisser faire et d'obéir. Tiens-toi droite!
- ... d'obéir à tout ce qu'on me demandera?
- Absolument, à tout, sans broncher, tu n'auras pas le choix. Chez moi, les invités ont tous les droits. Au lieu de papillonner, observe bien ce que je fais. Un corset ne se lace pas comme une paire de chaussures. D'abord tu l'agraferas par-devant en commençant par les attaches du haut...
- Bien, Madame.
- ... ensuite tu mettras tes mains dans le dos et tu tireras sur les boucles.
- Je n'y arriverai jamais, Madame!
- Ne t'inquiète pas, je serai à côté de toi pour les premiers essais.
- Oh oui, je veux bien.
- Il faut procéder en plusieurs fois et resserrer progressivement le laçage en partant du haut vers le milieu...
- Bien, Madame.
- ... puis en partant du bas vers le milieu.
- Jusqu'à quand, Madame?
- Jusqu'à ce qu'il soit parfaitement ajusté et que tu te sentes confortable.
- Comme si un homme me serrait dans ses bras?
- Oui, si tu veux. Tu pourras alors tirer de toutes tes forces sur le lacet central... [Lady Alexandra appuie son genou contre le dos de Béatrice pour la tirer en arrière.]
- ... afin de bien marquer la taille et de l'affiner au maximum.
- Aïe! Madame, j'ai mal, vous serrez trop fort, je ne peux plus respirer!
- Tiens-toi au fauteuil et rentre le ventre, dans quelques minutes, tu n'y penseras même plus.
- J'ai l'impression d'avoir une taille de guêpe!
- Ce n'est pas qu'une impression, Béatrice.
- Et des hanches de courtisane!
- C'est tout à fait ça!
- Oh Madame, j'ai le dos cambré et les fesses en arrière.
- C'est pour qu'on les caresse encore plus, ma belle!
- Et mes seins, regardez, on dirait qu'ils sont prêts à éclater!
- Oui, ils tendent même leurs pointes mais c'est normal, Béatrice, un corset est fait pour mouler le corps, pour en épouser les formes et les mettre en valeur.
- Je vais avoir du mal pour me pencher.
- Une question d'habitude, Béatrice, des exercices réguliers te donneront plus d'aisance.
- Je crois que je vais en avoir besoin.
- Et puis nous aviserons. En fonction des circonstances, je te ferai porter des modèles moins longs. Pour le moment, tu vas enfiler
cette robe. Lève les pieds et prends appui sur mes épaules.
Elle lui présente un modèle ultra court en skaï noir dont les plis s'évasent en corolle autour de la taille comme les pétales d'une
fleur.
- Elle est superbe, Madame!
- Tu y feras très attention, c'est un modèle sorti tout droit des ateliers du grand créateur Patrice Catanzaro.
- Spécialement pour moi?
- Spécialement pour toi, Béatrice. Rien n'est jamais trop beau pour mes domestiques.
- Vous ne trouvez pas qu'elle est limite trop courte?
- Pas du tout, elle te va à la perfection.
- Mais Madame, vous avez vu par-devant, on aperçoit la lisière de mes bas!
- Presque, et si ça peut te consoler, par-derrière, elle t'arrive juste au ras des fesses!
- Tourne-toi. C'est parfait! Te voilà bonne pour le service! Bonne pour le service, pour une domestique, c'est amusant, non?
- Madame, j'ai la sensation d'être toute nue!
- Convaincs-toi plutôt que tu es adorable comme ça et que tu auras bientôt à tes pieds un parterre d'amoureux transis.