Béatrice ou l'éducation d'une jeune soubrette

BR FV 41 Max01Le ciel de Glendale était parfois zébré de météorites fulgurantes. Il suffisait, en effet, de peu de chose, de la présence d’un invité exceptionnel, par exemple, pour que les réceptions de Lady Alexandra confinent au sublime. L’effet de surprise, c’était sa spécialité. Elle n’avait pas son pareil pour dénicher la perle rare, la « guest star ». Celle qui allait embraser la soirée et la rendre inoubliable. En pareil cas, elle recourait aux services d’indicateurs spécialisés, seuls capables de lui signaler le spécimen rare à ne manquer sous aucun prétexte, qui figurerait sans hésitation « la » pièce maîtresse de ces grands dîners comme elle seule savait les organiser en pareille occasion. L’espèce étant malheureusement en voie de disparition, il était crucial de la capturer au plus vite, puis de la protéger à tout prix des prédateurs et des aléas climatiques, de la rentrer précautionneusement au chaud sous une serre en hiver et de l’entretenir avec un soin jaloux comme un bonsaï centenaire tout le reste de l’année.

C’est ainsi que la huitième merveille du monde, celle qui avait immédiatement recueilli l’unanimité sur sa personne, était un jour apparue à Glendale sous les traits d’un certain Max, surnommé « Grosse Pine » ou encore « Bite d’Acier ». Il avait été repéré un soir, dans le village voisin,BR FV 41 Max02 accoudé au bar du Green Dragon au milieu d’un cercle de consommateurs subjugués à qui il débitait avec un bagout incomparable ses meilleures histoires de bagnole, de cul, et de service militaire, les trois sujets qui lui semblaient dignes de retenir son attention et qui animaient, avec le tiercé dominical (« les bourrins », pour reprendre son expression), l’horizon paisible de ses pensées. Depuis ce jour mémorable, il était devenu le chouchou de ces dames, le centre des conversations. Entouré et choyé comme la BR FV 41 Max03mascotte de Glendale, son porte-bonheur, sa patte de lapin, son trèfle à quatre feuilles, il était de toutes les fêtes.

Dresser un portrait fidèle de Max procède un peu de la gageure. Disons, pour esquisser d’un mouvement sa silhouette générale, que ses traits physiques pouvaient rappeler par certains aspects - et sans jugement de valeur aucun - ceux de personnalités des arts et du spectacle aussi variées que Nikos Aliagas, Hubert Bonisseur de la Bath (alias OSS 117), Julio Iglesias, ou encore Aldo Maccione.

Bedonnant, les cheveux gominés teints en noir corbeau, Max s’efforçait de dissimuler son âge à grand renfort d’entraînements quotidiens dans les salles de musculation. Ses soi-disant séjours sous les tropiques, qui étaient censés entretenir son teint cuivré de séducteur, se résumaient en fait à des séances régulières d’ultra violet dans les cabines de son quartier. Toutefois, à l’entendre, il tenait une forme olympique, et comme la demi-mesure n’était pas précisément sa marque de fabrique, il ajoutait qu’en comparaison, Sylvester Stallone était tout juste bon à faire dBR FV 41 Max04e la figuration dans les vitrines du musée Grévin.

De façon à compenser un léger handicap de taille, il s’autorisait le port de bottines à talons et gardait hiver comme été vissée sur le nez une paire de lunettes de soleil Ray-Ban à verres miroir, souvenir d’une époque révolue où ses fonctions de disc jockey l’avaient projeté sous les « spotlights des dancefloors » du Macumba à Montceau-les-Mines puis du Papagayo à Romorantin, avant d’accéder, enchaînait-il avec aplomb, à la gloire et à la BR FV 41 Max05consécration, au Shogun d’Arcachon (à deux pas du camping des « Flots Bleus ») au terme d’une ascension qualifiée de « foudroyante ».

Une fine moustache à la Rhett Butler, alias Clark Gable dans « Autant en emporte le vent », que d’aucuns auraient pu confondre avec celle d’un garçon coiffeur, accentuait selon lui son côté irrésistible de « latin lover ». Et pour couronner le tout, un nuage suffocant d’embrocation, « pour nous les hommes », l’enveloppait - le précédait plutôt - dans ses déplacements, ce qui permettait à tout un chacun de le suivre à la trace.

A vrai dire, même sans son parfum, on aurait pu le repérer entre mille. A la couleur de ses chemises, par exemple. Les invités n’avaient d’yeux que pour elles. Leur mauvais goût appuyé les ravissait chaque fois d’une joie sans mélange. Et de fait, il avait la délicatesse de ne jamais les décevoir avec des modèles en satin brillant, rose malabar, vert pistache, jaune canari, orange Guantanamo, ou blanc transparent, portés col ouvert « pour rester jeune » mais surtout pour mettre en valeur sa poitrine velue, signe d’une virilité inépuisable, agrémentée de son inévitable chaîne en orBR FV 41 Max06 et de sa dent de requin. Les rares fois où il osait le jabot de dentelle sous un costume à paillettes bleu électrique, sa tenue « Alexandrie », murmurait Alexandra, c’était le délire absolu. Les convives, les yeux embués de larmes, devaient littéralement se pincer pour ne pas rouler sous la table.

Le portrait de Max serait incomplet si l’on omettait de s’attarder quelques instants sur un sujet un peu délicat : la particularité physique à l’origine de son surnom. A demi-mot, il avait été exceptionnellBR FV 41 Max07ement doté par la nature et en langage plus direct, il pouvait se vanter de posséder des attributs virils hors du commun. Soucieux d’entretenir sa réputation de hardeur dans un nombre soi-disant incalculable de films pornos - notamment dans «Merlin l’Emmancheur» et «Les Tontons Tringleurs», ses deux plus beaux rôles - , il affectionnait le port de pantalons ajustés qui, confiait-il pudiquement, « le mettaient en valeur ». Les femmes qui avaient eu accès au temple de son intimité n’avaient pas de superlatifs assez forts pour qualifier les proportions du monument qu’elles avaient découvert. Selon les cas, elles levaient les yeux au ciel comme pour chasser de leur esprit un souvenir douloureux voire un cauchemar, ou bien se poussaient du coude d’un air émoustillé, comme si le démon les démangeait de franchir la ligne continue pour renouveler l’expérience.

Les plus aventureuses garderaient certainement à tout jamais en mémoire le tatouage explicite en lettres bBR FV 41 Max10leues (« Nique-les toutes ») qui lui barrait le bas-ventre. De leurs propos ressortait une profusion d’images colorées qui empruntaient pour l’essentiel au langage militaire (artillerie lourde, batterie antichars, obusier de campagne) alors que l’intéressé lui-même, plus sensible, semble-t-il, aux métaphores animalières, se comparait sans état d’âme à la bête du Gévaudan. En bref, un braquemart impressionnant, en parfait état de marche, aux dimensions sBR FV 41 Max11ans égales et, en tout état de cause, sans commune mesure avec les étalons, c’est le cas de le dire, généralement reconnus dans cette spécialité. Toutes proportions gardées, l’engin d’Harry, « l’essayeur » de Lady Alexandra, pourtant déjà d’une taille considérable, apparaissait aussi ridicule que la « virgule » attendrissante d’un nourrisson, tandis que celle de Rocco Siffredi s’en sortait tout juste mieux.

Marathonien du sexe (« 42,195 kilomètres de plaisir »), fin connaisseur des mille et une positions du Kâma-Sûtra, incollable sur les subtilités de la toupie chinoise ou de la brouette japonaise, il garantissait à ses multiples partenaires les extases les plus folles. Son « joujou extra » les conduirait à coup sûr au grand frisson et au septième ciel.

Les hommes le jalousaient pour ses conquêtes innombrables et ne comprenaient pas qu’un individu aussi vulgaire puisse provoquer un tel engouement de la part des jolies femmes. Celles-ci adoraient au contraire ses manières simples, presque frustes, lBR FV 41 Max12a façon très directe qu’il avait de les aborder, sans tourner autour du pot, de les déshabiller du regard, de plonger effrontément ses yeux dans la profondeur insondable de leur décolleté, de les faire rire aux éclats et de leur chuchoter des mots crus au creux de l’oreille pour les faire rougir comme des pivoines. En un mot, un homme, un vrai, brut de décoffrage, qui détonnait agréablement au milieu des chiffes molles habituelles et deBR FV 41 Max13s raseurs intellos.  

C’était aussi pour sa conversation que Max valait en quelque sorte le détour. Car en dépit des qualificatifs plutôt familiers qu’il utilisait à l’égard de Lady Alexandra (« Ma princesse », quand ce n’était pas « Mon poussin »), celle-ci pouvait difficilement se priver de sa présence. Lui seul, en effet, avait le don de dégeler l’atmosphère des soirées un peu « coincées ». D’apporter une note « décalée ». Un ton original. Un souffle d’imprévu. Au risque de laisser parfois tomber un énorme pavé dans la mare des convenances.

Le procédé était assez simple. Il consistait à lui donner la parole sur un sujet qu’il affectionnait et à se contenter de l’écouter. Il devenait rapidement intarissable. Opposé un soir à un François Pignon pourtant en grande forme, qui détaillait à l’assemblée pendue à ses lèvres ses dernières constructions en allumettes, la basilique de Lisieux et le viaduc de Millau, il l’avait emportBR FV 41 Max14é haut la main en évoquant ce qu’il appelait pompeusement « sa carrière dans le show-biz ». En fait de célébrité, mis à part un prix d’encouragement obtenu à Pézenas dans un radio-crochet, son heure de gloire avait culminé le 18 mars 1961 à Cannes dans l’orchestre de Jean-Claude Pascal, lauréat du Concours Eurovision de la chanson pour « Nous Les Amoureux ». Depuis lors, il cachetonnait ici ou là dans des spectacles minables. Sa dernière performance, en compagnie d’Yvette Horner, avait eu pour cadre l’émission « La Chance aux Chansons » de Pascal Sevran, dont la diffusion en semaine l’après-midi sur TF1 rencontrait une auBR FV 41 Max15dience inespérée dans les maisons de retraite.

En fait, personne ne savait très bien comment ni de quoi il vivait. Quand il expliquait - avec maladresse - qu’il avait pendant longtemps « fait dans la culotte pour dame », il fallait traduire qu’il avait occupé les fonctions de représentant en lingerie fine pour la marque « Glamour ». Les réunions, ajoutait-il en clignant de l’œil, étaient organisées à domicile, chez la ménagère de moins de cinquante ans. Sur cet épisode marquant de sa vie, il faisait généralement un tabac lorsqu’il révélait ses trucs pour convaincre ses clientes d’essayer les modèles les plus légers (Honeymoon, Playmate, Sex Bomb) et ses formules magiques pour les faire céder à la tentation (« N’hésitez pas, mesdames, prenez les deux, le slip pour votre mari, le string pour votre amant »).

Au demeurant, il entretenait un flou permanent autour de ses occupations et de ses voyages. Prompt à extraire de son portefeuille des photos où il trônait au milieu d’un essaim de jolies filles peu farouches et peu vêtues, des «véritables championnes de la baise », croyait-il opportun d’ajouter, il revenait toujours de Saint Barth ou de Curaçao, rarement de Bar-sur-Aube ou du Puy-en-Velay.   BR FV 41 Max16

« En correspondance entre deux missions », poursuivait-il, le buste légèrement incliné, l’air grave, sur le ton de la confidence, il vous laissait entendre, sans pouvoir en dire - malheureusement - davantage, secret d’État, vous comprendrez, qu’il était sur un gros coup… livraison d’armes aux Forces armées révolutionnaires de Colombie… jungle hostile… chaleur suffocante… moustiques… marécages… seul avec ma bite et mon couteau… intermédiaire… route de la cocaïne… plein de pognon à ramasser… Heureusement, il disposait sur place d’excellents contacts, y compris dans les cercles politiques les plusBR FV 41 Max17 fermés, qu’il avait pu facilement pénétrer grâce à son entregent, s’esclaffait-il tout en portant la main à sa braguette.

De ce numéro extraordinaire de mercenaire à la petite semaine, les invités de Lady Alexandra, qui s’efforçaient à grand peine de contenir leur sérieux, ne croyaient pas un traître mot. Ils avaient appris à décoder ses propos : le trafic de narcodollars en question devait plutôt ressembler à un inoffensif commerce de contrebande - trois cartouches de cigarettes et deux bouteilles de pastis de temps en temps - à l’occasion d’un déplacement dansBR FV 41 Max18 la Principauté d’Andorre.

Lors de ses nombreux séjours à Glendale, Max n’avait pas pu manquer de croiser le chemin de Béatrice. Sa présence l’électrisait. Quant à elle, elle en avait une peur bleue, craignant par-dessus tout de se retrouver seule avec lui. Car en pareille circonstance, elle était quasiment sûre de passer un mauvais quart d’heure, tripotée entre deux portes, voire prise en levrette tandis qu’elle se pencherait en avant pour border un lit ou pour faire le ménage. Très récemment encore, il s’était enfermé avec elle dans le salon télé, l’avait installée sur ses genoux, avait glissé sa main dans sa petite culotte, et sous prétexte de lui faire découvrir une « pépite » en matière de film X, avait passé son temps à la doigter pendant toute la durée du DVD.  

Mais tout cela n’était pas grand-chose en comparaison de son numéro favori qui consistait à attendre de se trouver en public pour apostropher la soubrette tout en déboutonnant lentement le haut de son pantalon :

- C’est l’heure du biberon, ma biquette, viens vite téter le bon lait chaud de Tonton Max.

Bien entendu, Lady Alexandra n’ignorait rien de ces multiples incartades. Si elle ne les approuvait pas toutes, elle savait en tirer parti à l’occasion. Car pour l’éducation de Béatrice, Max représentait une option à laquelle elle n’excluait pas de recourir quand il le fallait.

Mer 6 jun 2012 1 commentaire
Et ça existe ecore de nos jours des pignoufs pareil ?

;-)
Saskwash - le 15/09/2012 à 11h50